Menaces sur l’avenir du Lycée autogéré de Paris

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Marc, Marius, Milan et Ambre, élèves au Lycée autogéré de Paris (Lap), Jérémie et Sébastien, dans un collège traditionnel, et Laurent et Sylvie, animateurs de Lundi matin sur Radio libertaire (et parents d’élèves), en discutent.

Sébastien - Est-ce qu'il y a des punitions au Lap ?

Ambre - Non. On nous traite en adultes, on considère que c'est à nous de voir ce qui est le meilleur pour nous.

Sébastien - Du coup, vous faites moins de bêtises ?

Ambre - Les bêtises, c'est beaucoup pour défier l'autorité ; et comme on peut s'exprimer, on n'a pas besoin de faire ça pour être vraiment entendu.

Milan - On a une commission justice : cinq élèves, élus par les élèves, et trois profs, élus par les profs, qui se réunissent en cas de besoin. Par exemple, on avait eu un problème de deal. Au bout de trois semaines-un mois, la décision a été prise et présentée en AG d'exclure un élève.

Ambre - Ce n'est pas un conseil de discipline : le but est de discuter avec les gens quand il y a des problèmes et les régler à l'amiable. Il n'a du y avoir que deux exclusions dans toute l'histoire du lycée, et on est 242 élèves cette année.

Marius - Quand j'étais au collège, en tradi, j'ai assisté à trois conseils de discipline en un an, dont deux se sont résolus par une exclusion et un par un déportement dans un lycée spécial d'encadrement. Ça s'est passé en une demi-heure, la proviseure et le CPE sont arrivés en sachant déjà ce qu'ils voulaient : l'exclusion. La personne pouvait dire tout ce qu'elle voulait, ça ne changeait strictement rien. La commission justice, c'est quelque chose qui prend du temps, qui écoute les différents intervenants. Ils font un travail d'enquête aussi, pas pour chercher le coupable mais pour savoir ce qui s'est réellement passé.

Sébastien - On a un professeur, on a déjà fait une manif dans la cour contre lui. Il nous lance des craies dans la tête, il nous insulte. Il m'a même mis un coup de pied qui m'a fait tomber. On a fait des petits papiers où on a écrit chacun ce qu'il nous avait fait ; mais il ne s'est rien passé. Ils disent que ce n'est pas vrai.

Jérémie - J'ai le même professeur et je me suis sauvé de la classe.

Ambre - Il y a des profs comme ça et c'est nos profs qu'on vire. Je trouve ça dégueulasse.

Sylvie - Est-ce qu'il serait possible qu'un prof se comporte de cette manière au Lap ?

Ambre - Non. Les profs sont volontaires pour venir, ils sont choisis par l'ensemble de l'équipe enseignante. Ils viennent un an pour voir comment ça se passe.

Marius - Dans le cas (improbable) où un professeur comme ça arrive au lycée autogéré, ça ne se passerait pas comme ça. Là, les élèves font une manif, ils font passer des mots, mais on ne les croit pas : la parole d'un élève ne vaut pas celle d'un prof ; au Lap, un élève n'a pas forcément tort contre un prof.

Sébastien - C'est quoi les programmes, et est-ce que ça vous intéresse ?

Ambre - En première et en terminale, on suit à peu près les programmes, parce qu'il y a l'objectif du Bac pour beaucoup. Les différences sont plus au niveau de la pédagogie. En seconde, on ne suit pas le programme comme dans le traditionnel. Le prof est assis avec les élèves, tout le monde se voit, et c'est essentiellement une discussion. On construit le cours. On fait aussi des ateliers, il y a beaucoup de projets artistiques : vidéo, arts plastiques, théâtre, plein de choses.

Marc - J'ai appris à développer des photos dans un studio, et j'ai monté un projet pour partir à la découverte de la culture kanak. Avec le lycée, tu as beaucoup de possibilités.

Laurent - Par exemple en histoire, la pédagogie traditionnelle consiste à retenir par cœur et ressortir un certain nombre d'informations ; comment ça se passe au Lap ?

Ambre - Il n'y a pas de cours d'histoire en seconde. On travaille sur un thème pendant une séquence (de vacances à vacances), en interdisciplinarité. Par exemple, on a discuté de la ville en histoire, en géographie, en littérature.

Marius - Sur la Renaissance, on n'a pas bossé que sur le côté historique, mais aussi d'un point de vue philosophique, sociologique, artistique. Entrecouper plusieurs savoirs, ça permet d'avoir une approche différente et d'avoir plusieurs points de vue. Le but, c'est de comprendre.

Sylvie - Les diplômes, de toute façon, surtout quand tu es d'origine ouvrière, ça sert pas forcément à grand chose ; mais avoir plus confiance en soi, être plus intelligent, posséder des techniques, oui. Les établissements traditionnels, où on se fait humilier dès qu'on fait pas un truc comme il faut, sapent la confiance en soi.

Ambre - Les profs s'occupent aussi de reconstruire des gens détruits par le système scolaire traditionnel. On a à nouveau l'envie d'aller en cours. Les anciens nous disent que le lycée leur a apporté énormément et que ça a fait d'eux ce qu'ils sont aujourd'hui.

Sylvie - En quoi consiste l'autogestion, à part l'interaction avec les professeurs ?

Milan - Il y a des groupes de base, avec des élèves et des profs, où on discute de la vie pratique dans le lycée. On vote le buget, on fait le ménage.

Ambre - Il y a les commissions, deux heures le jeudi matin. On y gère tout le lycée : entretien, bibliothèque, administration, budget, évaluation, etc. Et le mercredi et le jeudi, on fait la cuisine.

Sylvie - Qu'est-ce que vous avez encore comme projets ?

Marius - Milan et moi, on enregistre des reprises de Lou Reed et de Patti Smith. On fait un travail autour de la Factory d'Andy Warol, on reprend ses chansons et on va partir à New York faire les clips. Le but est d'aboutir à une expo sonore et visuelle à la fin de l'année et un concert.

Sylvie - Venons-en à l'attaque contre le Lap et ses conséquences.

Marius - On nous a retiré 20% de nos heures, donc 20% des postes ; mais sans ces professeurs, ça pourra pas fonctionner, ou pas aussi bien si on essaie quand même. Sur 27 postes qui disparaissent sur tout Paris, cinq sont chez nous.

Ambre - En décembre, on a signé une convention avec le rectorat, censée pérenniser notre existence. On a appris il y a trois semaines que notre dotation en heures globale allait être réduite. Tout s'est fait par mail. Ensuite, on nous a dit qu'il allait y avoir une commission de réarrangerement et qu'on récupèrerait nos heures ; et le 3 février, le lycée a reçu un mail disant qu'il perdait ces heures et que c'était fini. On a obtenu une audience au rectorat de Paris et on nous a répondu que le lycée devait participer à l'effort national de gestion resserrée.

Marius - Nos professeurs remplissent plusieurs rôles, ce qui n'est pas pris en compte. Ils prennent du temps avec les élèves, ils participent à la gestion. On n'a ni proviseur ni personnel de ménage. 27 adultes bossent dans notre lycée : 25 profs, plus Omar et Amina, qui font l'entretien et le secrétariat.

Milan - On est quatre lycées et collèges expérimentaux en France, et on est tous menacés.

Laurent - Dans le tradi, les enfants sont stressés, ils ont peur de l'avenir, les parents sont tout autant inquiets, ils poussent leurs mômes et les punissent pour qu'ils travaillent mieux. Comment appréhendez-vous votre avenir ?

Milan - J'ai connu que deux années dans le traditionnel. Je savais que si j'y allais, j'allais pas travailler, je m'y sentirais super mal. Ma mère était dans la même situation, elle est allée au Lap. Elle a pas eu son Bac, mais elle a réussi à faire des études et à être psychologue. Au Lap, j'ai le choix de ne pas travailler, parce que les cours ne sont pas obligatoires, et je viens travailler quand même.

Marius - À long terme, je sais pas, mais à court terme, mon avenir, j'aimerais vraiment qu'il se passe au Lap. Dans le tradi, on n'a pas de possibilité d'exprimer ce qu'on pense, de participer. Au collège, j'ai eu plus l'impression de subir l'éducation que d'apprendre. J'ai envie que le Lap continue et que des gens après moi puissent y aller.

Ambre - L'année dernière, j'ai fini l'année en n'allant plus en cours. Je supportais plus la pression et on ne pouvait pas s'exprimer. Si le lycée ferme, c'est la fin de ma scolarité, parce que je ne pourrais pas, après ce que j'ai vécu, reprendre dans le traditionnel.

Sylvie - Vous parlez du droit de s'exprimer. Sébastien, tu peux dire la dernière fois que tu as eu des lignes à faire, ce que tu as du copier cinquante fois ?

Sébastien - Je dois me taire en classe.

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