L'idée révolutionnaire

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Classé dans : Lectures Mots clés : révolution

Il est certain que, dans l'état actuel de la société, où la grande majorité des hommes, écrasée par la misère et abrutie par la superstition, gît dans l'abjection, les destinées humaines dépendent de l'action d'un nombre relativement peu considérable d'individus. Il ne pourra certainement pas se faire que, d'un moment à l'autre, tous les hommes s'élèvent au point de sentir le devoir, et même le plaisir d'accomplir tous leurs actes de manière à ce qu'il n'en résulte, pour autrui, que le plus grand bien possible. Mais si les forces pensantes et dirigeantes de l'humanité sont aujourd'hui peu considérables, ce n'est pas une raison pour en paralyser encore une partie et pour en soumettre beaucoup à quelques-unes d'entre elles ; ce n'est pas une raison pour constituer la société de telle manière que, grâce à l'inertie que produisent les positions assurées, grâce à l'hérédité, aux protections, à l'esprit de corps et à toute la mécanique gouvernementale, les forces les plus vives et les capacités les plus réelles finissent par se trouver hors du gouvernement et presque privées d'influence sur la vie sociale. Et ceux qui parviennent au gouvernement, en se trouvant déplacés de leur milieu et, avant tout, intéressés à rester au pouvoir, perdent toute puissance d'action et servent seulement d'obstacle aux autres.

Abolissez cette puissance négative qu'est le gouvernement, et la société sera ce qu'elle pourra être, suivant les forces et les capacités du moment. S'il s'y trouve des hommes instruits et désireux de répandre l'instruction, ils organiseront les écoles et s'efforceront de faire sentir à tous l'utilité et le plaisir de s'instruire ; et si ces hommes n'existent pas, ou s'ils sont peu, un gouvernement ne peut les créer  ; il pourrait seulement, comme cela arrive en effet aujourd'hui, prendre ces hommes, les soustraire au travail fécond, les mettre à rédiger des règlements qu'il est nécessaire d'imposer au moyen de policiers, et en faire, d'instituteurs intelligents et passionnés qu'ils étaient, des politiciens tout préoccupés d'imposer leur manie et de se maintenir au pouvoir.

S'il y a des médecins et des hygiénistes, ils organiseront le service sanitaire. Et s'ils n'existent pas, le gouvernement ne peut les créer ; il pourrait seulement, grâce au soupçon trop justifié que le peuple nourrit à l'égard de ce qu'on lui impose, enlever du crédit aux médecins existants et les faire massacrer comme empoisonneurs, quand ils vont soigner les épidémies.

S'il y a des ingénieurs, des machinistes, ils organiseront les chemins de fer. Et s'ils n'existent pas, encore une fois, le gouvernement ne peut les créer.

La révolution, en abolissant le gouvernement et la propriété individuelle, ne créera pas de forces qui n'existent pas actuellement, mais laissera le champ libre à l'expansion de toutes les forces, de toutes les capacités existantes, détruira toute classe intéressée à maintenir la masse dans l'abrutissement et fera en sorte que chacun puisse agir et exercer son influence selon sa capacité et conformément à ses passions et ses intérêts.

Et c'est la seule voie par laquelle la masse puisse s'élever, puisque c'est seulement en possédant la liberté qu'on apprend à être libre, comme c'est seulement en travaillant qu'on peut apprendre à travailler. Un gouvernemnt, s'il n'avait d'autres inconvénients, aurait toujours celui d'habituer les gouvernés à la sujétion, et de tendre à se rendre de plus en plus nécessaire.

D'autre part, si l'on veut un gouvernement qui doit éduquer la masse et la mener à l'anarchie, il est cependant nécessaire d'indiquer quelle sera l'origine et le mode de formation de ce gouvernement.

Sera-ce la dictature des meilleurs ? Mais qui sont les meilleurs ? Et qui leur reconnaîtra cette qualité ? La majorité est, d'ordinaire, attachée à de vieux préjugés et à des idées et des instincts déjà dépassés par une minorité moins favorisée ; mais, parmi les milles minorités qui toutes croient avoir raison — et toutes peuvent avoir raison sur quelque point —, qui choisira-t-on ? Au moyen de quel critère choisira-t-on, pour mettre la force sociale à la disposition de l'une d'elles, quand l'avenir seul peut décider entre les parties en litige ? Si l'on prend cent partisans intelligents de la dictature, vous verrez que chacun d'eux croit qu'il doit, sinon être réellement le dictateur ou un des dictateurs, au moins être très voisin de la dictature. Donc, les dictateurs seraient ceux qui, par un moyen ou par un autre, réussiraient à s'imposer et, par le temps qui court, on peut être sûr que toutes leurs forces seraient employées dans la lutte qu'ils soutiendraient pour se défendre contre les attaques de leurs adversaires, oubliant leurs velléités d'éducation, comme s'ils n'en avaient jamais eu.

Sera-ce au contraire un gouvernement élu par le suffrage universel, et par suite l'émanation plus ou moins sincère de la volonté de la majorité ? Mais si vous considérez ces brves électeurs comme incapables de pourvoir eux-mêmes à leurs propres intérêts, comment sauront-ils jamais choisir les bergers qui doivent les guider ? Et comment pourront-ils résoudre ce problème d'alchimie sociale de faire sortir l'élection d'un génie du vote d'une masse d'imbéciles ? Et qu'adviendra-t-il des minorités, qui sont cepandant la partie la plus intelligente, la plus active et la plus avancée d'une société ?

Pour résoudre le problème social en faveur de tous, il n'y a qu'un moyen : expulser révolutionnairement le gouvernement, exproprier révolutionnairement les détenteurs de la richesse sociale, mettre tout à la disposition de tous et faire en sorte que toutes les forces, toutes les capacités, toutes les bonnes volontés existant parmi les hommes agissent pour pourvoir aux besoins de tous. Il y aura certainement des difficultés et des inconvénients ; mais ils seront résolus et ne peuvent être résolus qu'anarchiquement, c'est-à-dire au moyen de l'œuvre directe des intéressés et des libres accords.

Errico Malatesta, conclusion de la brochure L'anarchie, 1894

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