C'est pour ton bien...

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Classé dans : Articles Mots clés : école

Sébastien (collégien) et Milan (lycéen et animateur de Radio Lap) sont venus parler dans Lundi matin de ce livre qu'ils ont lu et aimé : Paracuellos, et plus généralement de l'oppression spécifique aux enfants et adolescents.

Sébastien — C'est un livre qui parle d'un enfant dans un centre de l'assistance publique espagnole, un orphelinat, en 1953, sous Franco, en Espagne. Des fois, ils s'entraident, mais des fois c'est triste parce que, déjà opprimés par les adultes qui les frappent, entre eux aussi ils se frappent ou se font des mauvais coups. Vraiment, des fois c'est affreux.

Sylvie — Tu peux nous dire quelques passages qui t'ont particulièrement marqué ?

Sébastien — C'est l'heure d'éteindre les lumières, mais ils ont envie de chanter. La surveillante arrive, elle dit : Tout le monde debout ! Il y en avait genre trois qui chantaient et douze dans le dortoir. Et elle leur donne un coup de chaussure dans la main. Le premier a un coup, le deuxième deux coups, etc., jusqu'à douze, et ça recommence. Ils chantaient juste une chanson…

Sylvie — Quand tu es enfant, tu n'as vraiment aucune défense. En particulier comme ça dans un orphelinat, les adultes t'as l'impression qu'ils ont pas beaucoup de limites. Quand des gens sont très opprimés, ça développe pas forcément des pratiques de solidarité, d'entraide, d'amour mutuel et de chaleur humaine. C'est plutôt quelque chose qui rend les gens aigris et qui fait qu'ils répercutent la violence dont ils sont victimes.

Sébastien — Ceux qui font pipi au lit se font humilier. Il y a une surveillante qui dit Je vais mettre fin aux pisseux ! Elle prend un seau, met de l'alcool dedans, l'enflamme, et leur dit de s'asseoir dessus.

Sylvie — Sous Franco, beaucoup de gens ont été torturés jusqu'à la mort. On voit pas pourquoi l'enfance serait préservée dans une société globalement très violente. La violence des professeurs envers les élèves est totalement occultée. Il y a trois/quatre ans, un prof avait donné une claque à un élève parce qu'il l'avait traité de connard : il y a eu unanimité dans la presse pour dire que le prof avait eu raison. Personne se demande pourquoi l'enfant avait traité le prof de connard, et surtout il y a eu très très peu de voix qui se sont élevées pour dire que ce qu'on veut ainsi faire passer aux enfants, c'est qu'on règle les conflits à coups de beignes. Si c'est ça l'exemple qu'on doit donner, faudra pas venir se plaindre que plus tard les enfants auront retenu la leçon. Est-ce qu'on règle les problèmes avec des coups ?

Laurent — Paracuellos se passe en 53, en Espagne, où, moins de vingt ans plus tôt, il y avait eu une révolution, et, en matière d'éducation, sans doute les expériences les plus radicales jamais tentées. Dans toute l'Espagne libre, il y a eu des écoles, impulsées par Francisco Ferrer, un pédagogue libertaire. Alors que, partout ailleurs en Europe, éducation rimait avec humiliation, punition, coercition, on y pratiquait un enseignement basé sur l'autogestion, l'entraide, la coopération entre les enfants et avec les adultes. Comme quoi l'histoire peut basculer dans un sens comme dans l'autre, mais ça prouve aussi que les hommes, les femmes, sont capables, parfois, de réaliser de belles choses, sur des bases radicalement différentes.

Sébastien — Mon prof de maths m'a déjà mis un gros coup de pied dans le dos, parce qu'il a ses petites manies, il doit avoir un couloir à lui tout seul, et il frappe si tu vas dans son couloir. Il nous lance des craies, il nous insulte (Vous êtes des petites merdes !)

Milan — T'essaies de faire des choses ?

Sébastien — Avec ma classe, on avait fait des petits papiers où on avait expliqué chacun ce qu'il nous faisait. Le jour du conseil de classe, le délégué a remis tous les papiers à la directrice : ça n'a rien donné.

Sylvie — En tant qu'enfants, vous avez pas de syndicats, pas de prud'hommes, vous n'avez rien pour vous défendre. Les parents ne peuvent rien. Les syndicats de parents ? … t'es là pour faire tampon et pour servir la soupe au système scolaire. Il est hors de question de remettre en cause quoi que ce soit. Un autre exemple, c'est ce qui s'était passé en centre de loisirs. (Je n'ai pas eu que des retours de Sébastien mais aussi d'autres camarades à toi qui m'avaient raconté la même histoire.)

Sébastien — Un animateur nous a enfermés à clef dans une salle, il a fait tomber mon copain en lui donnant un grand coup de pied, il l'a frappé à terre. Un autre, il l'a projeté sur une table. Le frère de mon copain, il était tout petit et n'avait absolument rien fait, il l'a projeté contre le mur ; il pleurait. Juste après, il nous a donné un bonbon et nous à dit : Vous dites rien du tout, sinon je vous éclate !

Sylvie — Des fois ils en parlent pas du tout à leurs parents. D'autres parents me disaient que leur enfant les avaient suppliés de ne pas en parler, parce qu'après il se retrouvera dans les pattes de la personne qui dira que c'est la parole de l'enfant contre la sienne – et la parole de l'enfant, elle vaut pas grand chose.

Milan — Les violences que j'ai connues, c'était des petites humiliations. Par exemple, je me souviens du prof qui dit à voix haute : T'écris comme un porc ! C'était plein de petits trucs comme ça.

Laurent — C'est des traumatismes, puisque des micro-événements on les a dans notre mémoire toute notre vie. Je me rappelle d'un prof qui emmenait les élèves derrière le tableau, on entendait les coups qui tombaient et puis on voyait l'élève qui s'écroulait, K.O. Un truc qui me reste toujours, en maths mon voisin copiait sur moi et à chaque fois le prof divisait la note par deux . Un jour je me suis rebellé et je lui ai dit : C'est pas juste ! Il m'a puni en me disant qu'il était pas payé pour être juste. Sébastien en rigole, mais des nuits entières t'en dormais pas ; et dans le monde adulte, c'est pas pour te décourager mais ça continue. Il y a des millions de personnes au travail qui souffrent, qui sont victimes de brimades, de harcèlement, de vexations. Et ce pour quoi nous sommes réunis, associés, organisés ensemble pour lutter, résister, c'est qu'en opposition à ce monde qui est fondé sur la violence des rapports entre les gens, sur la violence de l'exploitation, on veut fonder une société bâtie sur l'entraide, la coopération, la non-violence, l'écoute mutuelle, la solidarité.

Sylvie — Si c'est pire pour les enfants, c'est que l'école est obligatoire. Le travail, c'est pas facile d'y échapper, mais c'est possible. Adolescente, je discutais avec une prof qui me disait : Vous êtes pas sympa avec moi qui suis une des profs les plus sympas. ; et je lui dis : Oui, mais nous on n'est vraiment pas volontaire pour être là. Si jamais j'essaye de me barrer, on va me ramener entre deux gendarmes. Si ça vous dégoûtait à moitié autant que ça me dégoûte d'être là, je vous jure que vous seriez déjà loin. Et je lui dis que, pour moi, la différence entre un prof sympa et un prof pas sympa, c'est la différence entre un gentil maton et un méchant maton. Je le ressentais vraiment comme ça, parce que j'étais obligée d'être là, de subir ça.

Milan — Moi ce que je supportais pas, c'était les devoirs : tu passes toute la journée dans des cours qui ne t'intéressent pas pour les trois quarts, et tu rentres chez toi, t'as encore une heure de devoirs. Est-ce qu'on demande à un ouvrier de serrer des boulons chez lui ? La parade que j'ai trouvée c'est pas faire mes devoirs, ce qui m'a valu pas mal d'engueulades.

Sylvie — Quand tu fais pas ce qu'ils veulent, ils t'en font voir. Ils vont essayer de te casser, c'est évident. C'est le pot de terre contre le pot de fer, t'es pas en position de force. Moi aussi je faisais pas les devoirs, j'apprenais pas mes leçons, comment j'en ai bavé. J'ai été renvoyée, on m'a foutue chez les bonnes soeurs, je suis passée à deux doigts de me retrouver dans les classes de transition, qui étaient appelées les classes poubelles.

Sébastien — Une fois, on avait fait un blocus. Quand la directrice est arrivée, elle a dit : Je vous exclue définitivement si vous bougez pas tout de suite ! Et presque tout le monde s'est arrêté.

Sylvie — Même adulte, tu peux faire une grève générale que si elle est générale, et une révolte il faudrait qu'elle soit très très collective parce que on est menacé comme vous êtes menacé.

Laurent — Si vous passez à la librairie du Monde libertaire, il y a un rayon important consacré aux pédagogies interactives, autogestionnaires, qui vont dans le sens de développer l'autonomie de l'enfant. J'ai toujours en mémoire mon instit de CM1/CM2, qui pratiquait la pédagogie Freinet. Ces deux années sont restées pour moi une parenthèse qui m'a marqué profondément, parce qu'on a été écoutés, considérés, on a appris entre nous à être solidaires, on a appris l'autogestion, on s'est émancipés, grâce à cet instituteur qui considérait son métier comme une chance à offrir aux enfants de vivre autre chose. Comme quoi, même en attendant un jour de changer la société en profondeur et sur des bases nouvelles et radicalement différentes, aujourd'hui on peut construire ici et là tout un tas de choses qui peuvent constituer autant de brèches dans l'ordre existant.

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